L’évaluation :
réaliser un minimémoire

 

L’enjeu est ici de réaliser un exercice préparatoire à l’« enseignement par la recherche ».

Il s’agit de réaliser un dossier, très court (10 pages par personne, fourchette indicative minimale) que vous présenterez, où il faudra que vous parveniez à « raconter une histoire », autrement dit à faire le point sur une question en soulignant les raisons pour lesquelles cette question est importante.

 

Evidemment, sur un tel espace, il est impossible de tout dire et de tout faire, mais voici quelques éléments qui pourraient vous être utiles, à court ou à plus long terme :

 

 

Ce plan ce travail est un pis aller, et rien ne vous empêche d'en proposer un autre. Mais comme souvent avec les orthodoxies, en les connaissant, on peut prendre mieux ses distances avec elles, et inventer des formes nouvelles ou plus aventureuses.

 

Le plan standard de la plupart des exercices scientifiques anglo-saxons (voir l’ASR, l’AJS, etc.) plan se présente ainsi :

 

*    Introduction.

Il s'agit ici de mettre en place l'idée centrale par un exemple, la référence à un grand auteur, par un fait important, votre développement ultérieur.

*    Définition des notions.

J’oublie souvent ce point tant il est central : un travail sociologique ne peut exister sans une définition systématique des notions mobilisées. Il est en effet extrêmement dangereux de parler de notions complexes (le propre des sciences sociales, c’est la confrontation à la complexité) dont vous n’auriez pas cadastré les limites du sens.

*    Analyse bibliographique et développements théoriques.

Il faut alors, par un travail de discussion de la littérature sociologique, poser votre démarche et faire comprendre la spécificité de vos propositions. Attention, le travail bibliographique est fort ingrat, et il est possible de s'y perdre plus radicalement que ce que l'on peut envisager. Attention aussi au travail théorique : il faudra revenir sur terre et ne pas se laisser aller à un théoricisme d'autant plus confortable que vous n'aurez jamais la contradiction des faits. Il s'agit là de bâtir les idées que vous confronterez aux faits empiriques.

*    Problématique.

Avant d’avoir une problématique, on dit généralement "je travaille sur …" ; quand on a une problématique, on dit "je montre que…, et j’explique que c’est lié à ..."
Le travail que vous menez peut être purement empirique et descriptif. Une bonne description peut être très utile pour la recherche. Mais il sera toujours plus convainquent de présenter de façon cohérente l’importance, les attendus et les conséquences de vos découvertes. Plus profondément, il est mieux de souligner la problématique de votre travail, c'est-à-dire de construire et de systématiser votre questionnement. Pour cela, il faut prendre la distance par rapport à la pure description et souligner les enjeux de vos travaux.

*    Données.

Ces données sont la matière première qui vous permettra de soumettre vos hypothèses à la réalité. Ces données conditionnent profondément votre travail, et il ne s'agit pas pour vous de les trahir si elles disent autre chose que vos théories : mieux vaut alors changer de théorie… A priori, ce sont plutôt elles qui ont raison. En revanche, il est important, notamment pour obtenir la confiance du lecteur, de souligner l'intérêt, les qualités et les limites de vos données.

*    Test.

Il s'agit de confronter vos théories à vos données. Ce travail est lourd, et conduit le plus souvent à bien plus qu'un constat permettant de départager les hypothèses en présence. Il en découle généralement tout un ensemble de découvertes annexes, qui sont souvent des voies nouvelles pour des travaux ultérieurs, dont vous devez souligner l'importance.

*    Conclusion / ouverture.

Une fois parvenu à ce point, il vous appartient de souligner de nouveau vos apports et résultats, les limites de votre travail (important pour désarçonner les critiques ultérieures), et les développements que vous pouvez envisager pour les  dépasser. Evidemment, si vous avez fait un travail sur un seul pays, suggérez une comparaison ; sur une seule période, suggérez la dynamique; si les données sont trop peu nombreuses, suggérez la possibilité de réaliser une enquête de grand format... Le lecteur aura ainsi une idée de vos motivations à venir.

 

Vous commencez : que faire ?

Ecrivez sur une page : ce sur quoi vous travaillez ; ce que vous vous attendez à trouver, même si c’est en apparence trop tôt (si, si, il le faut !) ; les 5 références bibliographiques récentes les plus importantes sur votre sujet (quel que soit le pays ou la langue : des ouvrages anglo-saxons peuvent vous sembler décalés par rapport aux problématiques francophones, mais cela peut servir à mettre en place une comparaison) ; n’hésitez pas à vous montrer critiques par rapport aux approches que vous passez ainsi en revue ; interrogez-vous surtout sur le matériau empirique que vous allez constituer par vous-mêmes ou réutiliser (analyse secondaire sur enquêtes quantitatives que vous chercherez dans un centre d’archivage). Anticipez là aussi les moyens de vos ambitions : vous ne ferez pas 70 entretiens en trois mois…

 

Quelles sont les grandes qualités que l'on apprécie dans un travail académique?

Sans être certain quant à l'exhaustivité, je suggère cette liste :

*    ce que l'on apprend

*    travail bibliographique

*    travail empirique    

*    construction de l'ensemble

*    résultats

*    conviction

*    qualité de l'écriture 

*    nouveauté du sujet, de l'approche, etc.

*    difficulté du sujet

*    adaptation du terrain à la construction intellectuelle

j’en ai certainement oublié…

 

Evidemment, j'oubliais le sermon sur le plagiat : ne volez rien, ce serait d'autant plus stupide qu'en payant vos dettes (en citant les gens dont vous vous inspirez), vous vous enrichirez (et votre lecteur appréciera de vous voir citer différents auteurs, qu’il les connaisse déjà ou non). Donc : citez vos sources, utilisez des guillemets si vous utilisez in extenso des travaux, et ne prenez pas le risque de vous retrouver accusé d'une faute qui pourrait nuire très profondément à votre carrière. Aux Etats-Unis, le plagiat est passible d'exclusion définitive de la communauté universitaire...

 

 

 

Petit complément, plus adapté aux dissertations en sociologie :

 

Préalable :

Le sujet, comme la plupart de ceux que vous pouvez rencontrer en sociologie, est généralement choisi pour son niveau de complexité, faisant appel ainsi aux capacités de synthèse, de construction, de présentation théorique et empirique autour d’une question controversée, où il existe plus de débats que de réponse définitive. C’est sur votre capacité à prendre des positions construites et argumentées, en connaissance de la diversité des facettes et des prises de postions préalables dans ce débat, que vous serez évalué(e). Par conséquent, cela ne vous empêche pas de prendre position, et prendre parti, à condition que ces positions soient explicitées de façon rationnelle et élaborées sur un discours organisé.

Disserter en sociologie

Il n’existe pas de « recette de cuisine » générale, applicable dans tous les cas. En revanche, certaines règles de base sont utiles, souvent.

Définir

Il faut être conscient que la sociologie est peut-être la discipline des sciences sociales dont le vocabulaire est le plus riche, le plus divers, et fait appel à des objets d’une rare complexité. Dès lors, il est essentiel de définir, au moins pour vous-même, aussi scrupuleusement et clairement les mots et les notions les plus importants, définition qui doit préciser les facettes les plus importantes de l’objet. Ces notions ne sont pas simplement celles de l’intitulé de la question, mais aussi celles que vous mobilisez. Ces définitions peuvent éventuellement rester implicites dans votre rédaction, mais vous devez donner le sentiment à vos lecteurs que vous maîtrisez les marges de flou et d’incertitude de votre objet, et que vous n’êtes pas dupe des mots utilisés. C’est là, aussi, que l’on peut reconnaître les capacités rhétoriques d’un auteur.

Sans définition, vous risquez de dérouler votre sujet sans le soutien d’une position stable et ferme à partir de laquelle vous pourrez construire vos raisonnements.

Problématiser

Braudel parlait de l’« histoire problème ». Il est important, lorsque l’on disserte en sociologie, d’articuler son travail autour de la réponse à un problème, qui souvent dépasse la question telle qu’elle est posée. Pourquoi cette question se pose-t-elle ? Quels en sont les enjeux ? Qui sont les intervenants de ce débat ?

La problématisation est dès lors de votre responsabilité : elle dépend largement du parti pris qui sera le vôtre, et de l’histoire que vous souhaiterez raconter.

Cette problématique une fois trouvée, vous aurez des chances de créer un fil conducteur susceptible de porter votre lecteur d’une introduction problématisée à une conclusion susceptible d’apporter une large synthèse construite englobant une discussion sur des travaux sociologies contemporains comme plus anciens.

Construire un raisonnement

Une dissertation, c’est évidemment un cheminement en plusieurs parties. Il est important, dès lors, de mobiliser sa problématique pour créer un parcours clair entre introduction et conclusion. Là encore, il n’existe pas de règle générale, encore qu’un balancement du type : première partie « oui (apparemment) » ; seconde partie « non (au delà des apparences), sauf à prendre conscience de différentes limites et conditions », correspond à ce que l’on peut élaborer le plus souvent.

Dans le plan, l’important est bien évidemment de positionner les différents éléments du débat, certains relevant de la construction théorique, certains d’une critique sociale, et d’autres encore du constat empirique. Vous ne pouvez tout dire non plus, mais un repérage préalable de ces différentes questions connexes vous permettront certainement de nourrir votre plan. A vous de choisir ce qui entrera dans votre argumentation (attention, évidemment, à ne pas passer à côté de questions centrales).

Vous pourrez toujours de converger sur une conclusion où vous reprendrez les éléments du débat pour dire « l’un dans l’autre : oui », ou « l’un dans l’autre : non », ou encore, « l’un dans l’autre : ni oui, ni non, puisque les vrais enjeux sont plutôt dans tel aspect ». Comme ce n’est pas satisfaisant, il faut de préférence trouver une astuce pour ouvrir la conclusion. Evidemment, cela peut vous amener à prendre des risques, mais il faut savoir que les correcteurs exècrent non pas un engagement ni une orientation normative, mais le fait que cet engagement se révèle naïf, indiscuté ou sans tentative de débat.

N’oubliez jamais cette règle : si vous dites « A est vrai », votre lecteur aura à l’idée de démontrer que « A est faux », moins par esprit de contradiction que pour voir si la thèse tient ou non. Anticipez ce réflexe, et pesez toujours chacun de vos points par un débat critique, ce qui ne vous empêche pas de prendre position en disant que tel aspect prime tel autre, pourvu que vous disiez pourquoi. Partez donc à la conquête de l’intersubjectivité : ce n’est pas en définitive l’idée comme telle qui compte (sur le fond, certaines dissertations sont justes sur le fond, mais si mal argumentées qu’elles en sont inacceptables), mais sa réceptivité par le lecteur, qui acquiescera ou non, qui admettra que votre raisonnement et votre jugement sont équilibrés ou non.

Rédiger

Quoi qu’il en soit, montrez que vous maîtrisez la question, et ici « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface » (Hugo). Outre la syntaxe et l’orthographe standard, une culture maîtrisée se remarque immédiatement : ceux qui connaissent les œuvres (et se donnent le luxe de citer l’auteur, le titre, la date et l’éditeur) auront toujours une avance.

 

 

Culture :

Enfin, évidemment, l’un des enjeux centraux, c’est de faire sentir la présence d’une culture en sciences sociales. Celle-là a deux dimensions, théorique (par ordre alphabétique : Aron, Boltanski, Boudon, Bourdieu, Castel, etc.) et empirique (Bihr et Pfefferkorn : Déchffrer les inégalités, les données de l’INSEE, Louis Dirn, etc.) <cette typologie n’est pas parfaite, et ne peut l’être>. Evidement, selon les sujets, les références appropriées sont différentes.

Donc, si vous sentez la nécessité de combler des lacunes trop lourdes (c’est normal : on ne peut tout connaître) : ingurgitez un dictionnaire « léger » de sociologie, comme celui de Gilles Ferréol chez Armand Colin (1995, en cours de réédition) ou celui anglais de D. & J. Jary aux éditions Collins. Plus profondément, La tradition sociologique de Nisbet (PUF, coll. quadrige) permet de survoler les bases anciennes de la sociologie.

Sur la facette empirique, l’Etat de la France de la Découverte est une bonne synthèse sur les questions sociales, de façon à vous fonder sur des points tangibles. Sachez par ailleurs que le Nouveau manuel de Sciences économiques et sociales de Combemale et Piriou de la Découverte est une mine d’informations théoriques comme empiriques. Mais rien ne remplace la lecture des grands auteurs (voyez le rayon idoine de la bibliothèque).

Sachez que par rapport aux pratiques traditionnelles (depuis 30 ans) franco-françaises, compléter vos connaissances avec un peu de littérature anglo-saxonne ou autre peut être profitable, autant pour maîtriser un peu la comparaison internationale (et ne pas faire du cas français une espèce d’universel par défaut) que pour sortir des vieilles oppositions sociologiques locales.