Répartition par âge des députés 2002 et 1997 :

Un veillissement de l'âge médian de 4 ans 1/2 en 5 années de législature

Source : L. Chauvel

 Libération
Mardi 10 juillet 2001, page 7

La parité jeune-âgé est un enjeu aussi important que la parité homme-femme.

Ces quinquagénaires qui monopolisent l'Assemblée nationale

CHAUVEL Louis

Les riches illustrations du Trombinoscope 1983 de l'Assemblée nationale, premier de la série, sont édifiantes. Delanoë (né en 1950), Blisko (1950), Belorgey (1944), Madelin (1946) et une bonne soixantaine d'autres pas-encore-quadragénaires, souriants, épanouis, l'oeil vif et la chevelure de jais de députés jeunes et heureux, élus et pour longtemps. L'édition de 2001 exprime au contraire la maturité et l'expérience: 17 élus sur 574 ont moins de 40 ans. Les biographies de ces jeunes hommes politiques de gauche et de droite d'hier sont certainement variées, mais un contexte central apparaît: une socialisation politique lors du tremblement de terre de Mai 68 et de ses répliques, des débuts proches de l'extrême gauche (mais pas exclusivement), une accession précoce à des postes importants, souvent par la haute fonction publique: l'ENA ouvre 150 places par an, trois fois plus que maintenant. Alors, la nation investissait et embauchait. Une investiture en 1981 ­ ou bien une suppléance avec un député-ministre désisté ­, et voilà la satellisation précoce et réussie dans la stratosphère politique. En 1983, l'Assemblée nationale est jeune: 29,5 % ont moins de 45 ans, contre 9,2 % en 2001 (en fait, il faudrait comparer avec le Trombinoscope de 1999, soit après deux années de législature: 11,8 %, ce qui revient au même).

Cette régression des deux tiers est une hécatombe pour les nouvelles générations. En 1983, les jeunes militants mûris poussent derrière les précurseurs, députés à 33 ans, et remplacent progressivement les vieux barons de gauche et de droite, ces derniers septuagénaires légitimés naguère par leur jeunesse résistante. La vague des quadras du milieu des années 80 en résulte. En ce début de XXIe siècle, on assiste en revanche à l'explosion des quinquagénaires: un quart de l'Assemblée en 1983 et la moitié aujourd'hui. A plus d'un titre, l'Assemblée et ses coulisses forment un lieu où se concentrent un grand nombre de traits caractéristiques de la société et de ses rapports générationnels: la crispation des seniors, qui ne veulent pas songer à une succession après trente ans de carrière au plus haut niveau, et la frustration de jeunes plus si jeunes, travaillant avec abnégation et discrétion mais sans promotion pour un système qui ne les rétribue guère. S'ils ne sont pas contents, qu'ils s'en aillent.

Un trou générationnel s'est creusé, d'autant plus préoccupant qu'il ne se réduit pas à la sphère politique, mais se rencontre aussi dans la pyramide des âges des chercheurs, des enseignants, des médecins, des journalistes, etc. Ce n'est donc pas sans motifs sous-jacents que les rares jeunes militants du PS s'interrogent devant leurs aînés (très majoritairement des mâles) qui refusent de s'appliquer une parité qu'ils ont toujours évitée et qu'ils imposent unilatéralement aux nouvelles générations (Libération du 28 juin 2001). De part et d'autre, le geste manque de galanterie: les jeunes coqs hurlent à la mort contre une parité de genre dont ils sont les seuls à dire les risques (et à supporter les conséquences); les vieux loups se taisent et se présentent à nouveau, parfois pour la sixième fois; les femmes, quant à elles, ne savent pas très bien si elles sont les bienvenues dans un jeu politique qui reste un quasi-monopole masculin (de plus de 50 ans).

C'est là le symptôme émergent d'une difficulté plus globale de la société française, qui croîtra à mesure que la génération qui fit 1968 ­ et qui a pesé d'un poids plus que proportionnel sur toute l'histoire politique, économique et sociale depuis trente ans ­ devra céder de son pouvoir. La parité de genre est une nécessité absolue pour ouvrir un peu un jeu politique où les nouvelles têtes sont rares. Cette parité risque d'être manipulée, aujourd'hui, pour occulter une autre nécessité: celle de la parité de générations.

Le problème central de la société française d'aujourd'hui, c'est la question de la transmission, du legs collectif et politique d'un système social et démocratique dont les nouvelles générations sont, de fait, massivement exclues. Il sera difficile de l'aborder dans le débat de 2002: l'échéance est courte et la question fâcheuse. Mais en 2007, alors que les baby-boomers transiteront massivement vers la retraite, lorsque la question de la succession politique se posera avec une acuité rare, lorsque l'on se rendra compte, par ailleurs, que des institutions et des entreprises entières n'ont pas anticipé le creux générationnel ni renouvelé leur population depuis trente ans, il sera peut-être trop tard.

Louis Chauvel, 33 ans, est sociologue, maître de conférences des universités à Sciences-Po Paris. [#]Dernier ouvrage paru: "Destin des générations", PUF, 1998.